Henry Bonaventure MONNIER (1799-1877)

Un salon sombre, 1873
Encre et aquarelle sur papier
15,1 × 24,5 cm
Dédicacé, signé et daté en bas à droite à Mène/Henry Monnier/11 7br 1873

Au début des années 1830, le quartier de la Nouvelle Athènes, fraîchement loti en contrebas de la butte Montmartre, accueille la fine fleur du mouvement romantique. On peut y croiser des peintres, des écrivains, des musiciens, des journalistes et des acteurs dissertant sur le monde. Henry Monnier, qui a depuis donné son nom à l’une des rues du quartier, est tout cela à la fois. Auteur, metteur en scène, chansonnier et acteur, il se produit au théâtre du Vaudeville et dans les cafés des boulevards. Créateur du personnage de Monsieur Prudhomme, emblématique bourgeois bedonnant aussi conformiste qu’imbécile, il inspire Balzac pour certaines figures de La Comédie humaine et plus tard Verlaine pour l’un de ses Poèmes saturniens. Monnier, également habile dessinateur et lithographe, croque sur la feuille les mêmes mœurs hautes en couleur de la vie parisienne qu’il raille dans ses pièces de théâtre. De la pointe du crayon, il capture la physionomie des célébrités de son temps, souvent des acteurs qu’il croise sur scène ou dans les cafés après la représentation. Il fournit également des caricatures pour les journaux et travaille le plus souvent en série. Il répète ses figures à l’image de Monsieur Prudhomme dont il varie les situations ridicules, ou reprend des systèmes de compositions où plusieurs personnages sont rassemblés dans un salon. 

Dédicacée au sculpteur Pierre Jules Mêne (1810-1879), une aquarelle réalisée en 1873 fait partie de la série des Salons sombres. Dès 1852, les frères Goncourt, dans Mystères des théâtres, désignent les scènes illustrées sur ce modèle « comme des conversations niaises où l’on ne dit rien ». Aristide Marie, biographe de l’artiste qui publie ses recherches en 1931, décrit parfaitement la capacité de Monnier « à exprimer l’ennui d’auditeurs résignés à subir […] la lecture somnifère, infligée à de malheureux invités, dans le guet-apens que leur a tendu un auteur incontinent ». Dans la pénombre d’un salon bourgeois au riche décor, un serviteur en livrée tend un document à un homme assis qui l’ignore. L’assemblée d’une dizaine de personnages paraît plongée dans le plus profond des ennuis. Certains semblent cependant remarquer la présence du dessinateur et esquissent un discret sourire tandis qu’un autre lui tourne le dos. Au premier plan, une figure récurrente des aquarelles de Monnier est allongée de tout son long sous les pieds de son maître. La présence de ce chien peut à elle seule justifier la dédicace « à Mène », ami de l’auteur et prolifique sculpteur animalier qui consacra à la gent canine plusieurs de ses bronzes. 

En 1875, Monnier, qui ne fut jamais économe, vit dans le dénuement. Ses amis organisent alors une vente de leurs œuvres à son profit, dont les bénéfices devront permettre au vieil artiste de finir ses jours dignement. Le lot 41 de cette vacation, un bronze représentant un cheval et une jument offerts par Pierre Jules Mêne, rapportera 510 francs.

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