Charles JOUAS (1866-1942)
La Voiture verte, vers 1897
Fusain, encre, aquarelle et gouache blanche sur papier
32 x 45 cm
Signé et titré en bas à gauche Ch. Jouas / La Voiture verte. – E. Goudeau .
Vendu
« La voiture noire n’est rien
Auprès de la voiture verte. »
Émile Goudeau commence et termine par ces mots le poème intitulé Les Deux voitures, publié en 1897 dans la dernière partie de son recueil Poèmes parisiens. Le texte évoque deux types de corbillards : le noir, réservé aux défunts qui, entourés de leurs proches en larmes, sont conduits au cimetière, et le vert, destiné aux cadavres des indigents qui sont conduits à la fosse commune, sans cérémonie. Henri Beraldi, qui édite l’ouvrage, fait appel à Charles Jouas pour les illustrations. Les deux hommes se sont rencontrés l’année précédente et le travail sur le recueil de Goudeau constitue l’une des premières collaborations entre le dessinateur et son éditeur. Né à Paris en 1866, Charles Jouas se forme en autodidacte avant de fréquenter les ateliers de Georges Clairin et d’Isidore Pils. Pour vivre, il débute sa carrière au théâtre comme décorateur sous la direction de Rubé et Chaperon puis assiste Clairin à la fin des années 1880 pour la réalisation des peintures murales du Grand Théâtre de Tours. Jouas est repéré par Beraldi en 1896 grâce à ses illustrations à l’aquarelle pour la réédition d’Au Maroc de Pierre Loti.
Les œuvres que Charles Jouas remet à son éditeur pour illustrer les Poèmes parisiens de Goudeau sont gravées par Henri Paillard. Même si ce dernier a du talent, ses interprétations des dessins de Jouas, au trait sur la plaque, leur font perdre énormément de puissance. La Voiture verte est une feuille ambitieuse sur laquelle l’artiste mélange les techniques pour restituer au mieux le caractère lugubre et angoissant du texte de Goudeau. Le corbillard, clos de toutes parts, tiré par un cheval fatigué, est guidé par un cocher vêtu et chapeauté de noir. Il fait nuit et sous la pluie battante, deux lanternes le signalent sans parvenir à éclairer la rue. Le décor, tracé au fusain lavé d’encre, est frotté puis griffé par l’artiste. L’œuvre, complexe et de grande dimension, se voit finalement réduite à un minuscule cul-de-lampe placé sous le texte à la fin du poème. Certains commentateurs qui ont pu connaître les originaux jugent le résultat avec sévérité en disant que les dessins de Jouas ont été médiocrement gravés par Paillard.
À la suite de cette première collaboration avec Beraldi, Charles Jouas va rapidement affirmer son style en travaillant sur d’autres ouvrages. Fasciné par Paris, qu’il arpente inlassablement, et par l’architecture gothique de la cathédrale Notre-Dame dont il répète les gargouilles sur des feuilles aux cadrages vertigineux, le peintre va trouver dans l’illustration des ouvrages de son ami Joris-Karl Huysmans le moyen de développer son vocabulaire : l’édition illustrée de La Cathédrale, publiée en 1909, reste aujourd’hui l’un de ses chefs-d’œuvre.