Jessie STEWART DISMORR, dite Jessica DISMORR (1885-1939)

Trois femmes dans un paysage arboré, vers 1911-1912
Huile sur toile 
65 × 100 cm
Provenance : collection particulière, Paris

Jessica Dismorr est née à Gravesend, dans le Kent en 1885. Fille de John Stewart Dismorr, un riche homme d’affaires, elle commence sa formation artistique à Londres à la Slade School of Fine Art en 1903. À l’époque, cette école d’art est la seule d’Angleterre à permettre aux femmes de travailler d’après le modèle vivant. Après un peu plus de deux ans d’études londoniennes, elle se rend en France. À Étaples d’abord, auprès du peintre américain Max Bohm, puis à Paris où elle entre à l’académie de la Palette en 1910. Elle se lie avec l’un de ses professeurs, le peintre écossais John Duncan Fergusson et avec son épouse Anne Estelle Rice. Ces deux artistes lui transmettent un goût prononcé pour les couleurs vives, influencé par le fauvisme. C’est également à cette époque que Jessica Dismorr adhère au mouvement Rhythm dont le nom vient du magazine éponyme publié entre l’été 1911 et mars 1913. Fergusson assume la direction artistique de la majorité des quatorze numéros. 

Dès le début, Jessica Dismorr contribue à la publication en fournissant des illustrations. Dans le deuxième numéro publié le 11 septembre 1911, l’une de ses gravures sur bois est imprimée en regard d’un poème de Julian Park. L’image représente la danseuse américaine Isadora Duncan (1877-1927) effectuant des mouvements sur la scène, devant un rideau, avec une économie plastique qui évoque certaines œuvres du mouvement Der Blaue Reiter créé la même année en Allemagne. Isadora Duncan vient de révolutionner l’art de la danse en adoptant, et en théorisant, une approche primitive de la chorégraphie fondée sur l’improvisation et inspirée par sa vision des danses grecques de l’Antiquité. Une œuvre inédite de Jessica Dismorr est à mettre en relation avec la gravure publiée en 1911. D’un format horizontal, la toile représente trois femmes vêtues de toges antiques dont les silhouettes évoquent celles des danseuses des ballets russes. Les bras tendus le long du corps ou pliés à angle droit, elles avancent les jambes raides et la tête levée vers le ciel. Une série d’arbres aux troncs minces et des fleurs stylisées scandent la composition dans un rythme musical. Cette végétation schématisée se détache sur un fond de paysage presque abstrait, divisé en bandes superposées. Loin des premières préoccupations colorées de l’artiste, l’œuvre se limite à des plages de bleus et de verts, largement cernées de noir. Tel un trompe-l’œil de bas-relief antique, l’ensemble feint la profondeur pour mieux l’annuler. 

Redécouverte il y a une dizaine d’années dans une collection particulière parisienne, l’œuvre était conservée, jusqu’à récemment, en pendant avec une autre peinture de Dismorr d’un format presque identique. Pour cette seconde toile, une aquarelle de même composition est connue. Signée en bas à droite, l’œuvre sur papier, qui s’est vendue à Londres en 2024 sous le titre de The Spring Dance, représente deux femmes, un homme et deux enfants, tous nus, dansant sur un fond de paysage. Probablement réalisées à peu de temps d’écart, les deux toiles, peintes dans une gamme chromatique comparable, se répondent par jeux de contrastes entre lignes droites et lignes courbes, immobilité et mouvement. Certains détails, à l’image des plantes, sont traités de manière assez similaire dans les deux œuvres. À cette époque, l’artiste subit de multiples influences qui font évoluer rapidement sa manière de peindre. Lors de l’exposition parisienne de la Société des artistes indépendants de 1911, Dismorr présente six œuvres dont certaines portent des titres, tels qu’Étude décorative ou Panneau décoratif, suffisamment imprécis pour pouvoir correspondre à l’une ou l’autre des compositions. Idem pour l’exposition de 1912, où elle expose trois œuvres dont une titrée L’Émotion.

Durant ces deux années, Jessica Dismorr voyage dans le sud de la France avec Marguerite Thompson, puis en Italie et en Espagne où elle peint une série de paysages aux couleurs vives. En 1912, elle expose six de ses œuvres à la Stafford Gallery de Londres avant de donner à son travail un tournant radical. Sa rencontre avec Wyndham Lewis l’année suivante la convertit au vorticisme dont elle deviendra l’un des membres importants. Profondément marquée par la Grande Guerre durant laquelle elle est infirmière, Jessica Dismorr sombre dans la dépression. De retour en Angleterre, son œuvre devient abstraite et l’artiste adhère au Group X en 1920. Internée, elle se suicide à Londres le 29 août 1939, quelques jours avant la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne à l’Allemagne. En 2019, la Pallant House Gallery, à Chichester, a organisé une exposition rétrospective consacrée à l’œuvre de Jessica Dismorr et de ses contemporaines sous le titre « Radical Women ». Encore relativement méconnue aujourd’hui, l’artiste a fait l’objet de plusieurs études dont une thèse de Catherine Elizabeth Haethcock en 1999, non publiée, et plus récemment un article de T. Karabulut, intitulé « The Awakening of Female Vorticism in Jessica Dismorr’s Textual and Visual Representations » paru en 2023. En septembre 2024, la maison Bonhams, à Londres, a présenté aux enchères, lors de la vente « Blazing a Trail: Modern British Women », la plus grande collection privée connue de ses œuvres. Celles-ci, au nombre de dix-neuf, réalisées sur vingt ans en différentes techniques, appartenaient à Quentin Stevenson. Leur exposition a permis d’enrichir grandement nos connaissances sur l’art de cette figure singulière de l’avant-garde londonienne représentée au British Museum et à la National Portrait Gallery.