Léon BONVIN (1834-1866)

La Charrue, vers 1854
Fusain sur papier  
8 × 19 cm
Au verso Étude de feuilles
Provenance : Alexandre Bonvin (1864-1935), fils de l’artiste ; son fils, Louis Bonvin (1897-1967) ; sa fille, Renée Claudel-Bonvin (1921-2022)
Publication : Maud Guichané et Gabriel P. Weisberg, Léon Bonvin, une poésie du réel. Catalogue raisonné, Paris, Fondation Custodia, 2022, no 120 : « Une charrue/verso : Étude de feuilles [vers 1850-1855], Pierre noire, 80 × 190 mm », reproduit page 257

Né en 1834, Léon Bonvin grandit à Vaugirard dans l’auberge de ses parents. Devenu un cabaret populaire dans les années 1850 et 1860, l’établissement attire une clientèle bigarrée mêlant ouvriers, acteurs, écrivains et artistes de tous horizons. François Bonvin (1817-1887), le demi-frère de Léon, est un peintre de talent qui transmet à son cadet de dix-sept ans le goût pour les arts. La famille est pauvre et le jeune homme, contraint par son père à un travail acharné, échappe la nuit aux difficultés de son quotidien en traçant sur des bouts de papier les objets qui l’entourent et les paysages aux abords de sa maison. Selon son frère, Léon parvient à prendre quelques leçons de dessin à l’école Bachelier, mais, pour des raisons sûrement matérielles, ne peut achever ses études. Ses premières œuvres, faites à la pierre noire et au fusain, surprennent déjà par leur noirceur et de forts effets de clair-obscur. Probablement tracés sur les pages d’un carnet qui l’accompagne, glissé dans une poche, ses dessins de petits formats figurent un jambon posé sur une table, une paire de ciseaux, le chien de la famille, les champs des alentours, etc. 

L’une de ces feuilles précoces au format horizontal représente le profil d’une charrue à rouelles. Le dessin entièrement au fusain restitue l’outil en détail avec la précision et la compréhension de celui qui en a déjà fait usage. Les tiges de métal, soudées pour former l’engin, sont faites à la pointe du charbon écrasé. Bonvin gomme légèrement les rayons de la roue pour les éclairer et grise d’un geste rapide les sillons du champ fraîchement labouré. En haut, en bas et sur la gauche il ménage des espaces en réserve. Une étude de feuillage, visible au revers, mais coupée, atteste du choix de l’artiste de recadrer son sujet dans un format étiré pour accentuer l’horizontalité de sa composition. Par sa technique et son sujet, ce dessin peut être rapproché d’une Vue de la carrière dans la plaine de Vaugirard daté de 1854. 

Depuis la fin des années 1850, Bonvin travaille principalement à l’aquarelle des œuvres délicates – paysages et natures mortes – qui font l’admiration des visiteurs de passage. À la mort de son père en 1862, contre l’avis de son frère, Léon reprend la gestion de l’auberge. Jeune marié, il tente d’articuler sa vie familiale et professionnelle avec son désir de créer. Au fil du temps, ses aquarelles deviennent de plus en plus subtiles, détaillées et poétiques. Hormis quelques collectionneurs avertis et les amis de son frère, le monde de l’art ignore encore son talent. Acculé, Léon Bonvin quitte sa maison un jour de janvier 1866. Il est retrouvé pendu le 30 janvier dans la forêt de Meudon. Durant les vingt ans qui suivront, François Bonvin va tout faire pour que l’œuvre de son frère soit connue du plus grand nombre. En 2022, la Fondation Custodia a consacré à l’artiste une importante exposition rétrospective.