Jean Ignace Isidore GÉRARD, dit GRANDVILLE (1803-1847)

Masque de John Keats(1795-1821), vers 1830-1835
Encre et lavis d’encre sur papier
15,3 × 16,7 cm
Signé en bas à gauche JJ Grandville
Numéroté au verso du montage d’origine G239
Provenance : ancienne collection Alexandre Esprit Gény (1807-1873)
Originaire de Nancy, Jean Ignace Isidore Gérard, plus connu sous le pseudonyme de Grandville, passe son enfance dans une famille qui comptait de nombreux artistes, peintres ou comédiens. Adolescent, il apprend le dessin en copiant des caricatures dans les journaux et, fort d’un talent certain, décide de tenter sa chance à Paris. Il fournit dès lors des planches satiriques à différents périodiques en vogue, dont L’Artiste, Le Charivari et La Caricature. Entre 1828 et 1829, Grandville publie un recueil intitulé Les Métamorphoses du jour qui rencontre un immense succès populaire. Véritable comédie humaine composée de soixante-dix dessins, l’ouvrage met en scène des animaux anthropomorphes qui singent la société de son temps. Lassé par les contraintes de plus en plus sévères que lui impose la censure, Grandville s’éloigne de la caricature sociale et se consacre à l’illustration de livres tels que les Fables de La Fontaine, Don Quichotte, Voyages de Gulliver ou Les Aventures de Robinson Crusoé. Ces deux derniers ouvrages témoignent de l’intérêt de Grandville pour la littérature anglaise.
Les artistes français de la génération romantique trouvent une inspiration nouvelle chez les grands auteurs anglais, comme Shakespeare, mais également chez certains écrivains et poètes contemporains, comme Walter Scott et Lord Byron, ou, dans une moindre mesure, John Keats. Ce dernier, mort de la phtisie à l’âge de vingt-cinq ans en 1821, ne devient pas immédiatement populaire. Ce n’est véritablement qu’à partir du début des années 1830 que sa notoriété grandit et que sa poésie sort des frontières de l’Angleterre. Le jour de son décès, le visage du jeune poète avait été rasé et préparé afin qu’un moulage en plâtre puisse fixer ses traits dans l’éternité. Quelques années plus tôt, en 1816, John Keats avait déjà fait réaliser un masque de son visage in vivo par Benjamin Robert Haydon. Il semble que ce dernier fut tiré en un certain nombre d’exemplaires et qu’une gravure, œuvre de Joseph F. Sabin, en fut publiée vers 1833.
Grandville, qui dut avoir accès soit à un modèle du masque soit à un tirage de la gravure, fut probablement touché par le destin foudroyé de Keats. Tel un memento mori,il décide alors de tracer le profil inerte du poète en Orphée moderne. Dans ce dessin puissant à l’encre brune sur une feuille au format presque carré, l’artiste donne un fort relief à l’image grâce à un jeu subtil de hachures croisées autour du visage laissé en réserve. John Keats et ses œuvres n’ont eu qu’une résonance confidentielle en France, mais participent, associés au destin de ses contemporains Byron et Shelley, de l’image romantique du poète emporté trop tôt par la mort. Plusieurs exemplaires de son masque mortuaire seront édités par la firme Charles Smith à Londres entre 1898 et 1905, époque à laquelle le poète est enfin reconnu comme l’une des figures majeures de la poésie britannique.