Hilaire Germain Edgar DEGAS (1834-1917)

Portrait de l’acrobate Theophilia Szterker (1862-1888), 1879
Crayon noir sur papier brun
16,9 × 11,3 cm
Légendé et daté en bas à gauche Theofila Paira 24 Janv. 79
En bas à gauche, marque de collection Marcel Louis Guérin (Lugt 1872b)
Provenance : Marcel Louis Guérin (1873-1948) ; son fils, Daniel Guérin (1904-1988)
Exposition et publication : Discover Degas & Miss La La, Londres, [6 juin-1er septembre], Londres, National Gallery, 2024, cat. 30, reproduit page 97
En janvier 1879, le peintre Edgar Degas découvre au cirque Fernando, boulevard Rochechouart, un nouveau spectacle acrobatique interprété par la « Famille Kaira » depuis le 11 décembre. Deux jeunes femmes, membres de la troupe, attirent plus particulièrement son attention : Anna Albertine Olga Brown, surnommée Miss La La, et Theophilia Szterker, dite Mademoiselle Kaira. Degas exécute plusieurs croquis sur place avant d’inviter les deux acrobates dans son atelier du 19 bis, rue Fontaine, à quelques minutes à pied du cirque. Dans une lettre, le peintre informe son ami l’écrivain Edmond de Goncourt qu’il pourra les rencontrer chez lui. Plusieurs séances de pose ont lieu entre les 19 et le 25 janvier 1879. Si la majorité des dessins et croquis représente Olga, l’un en particulier, daté du 24 janvier, montre Theophilia de face en tenue de gymnaste, les bras en appui sur une barre fixe et les pieds au-dessus du sol.
Née le 21 avril 1862 dans la ville de Grätz (aujourd’hui Grodzisk Wielkopolski en Pologne) alors province du royaume de Prusse, Theophilia est la fille d’une couturière et d’un cordonnier. Son nom de Szterker résulte d’une transcription phonétique en polonais du nom de son père, Johann Starker. Alors qu’elle n’a que sept ans, la fillette est confiée en 1869 à la troupe d’un cirque dirigé par Gustav Neumann et sa femme, de talentueux équilibristes qui la prennent sous son aile. Au sein de cette famille d’adoption, elle rencontre Olga, une jeune acrobate de quatre ans son aînée. Ensemble, elles forment bientôt un duo qui attirera le public pendant les deux décennies suivantes avec leurs acrobatiques numéros de trapèze aériens, parmi lesquels l’anneau volant, l’anneau romain, le double triangle, la corde raide et la corde molle. Souvent présentées comme des sœurs, elles parcourent l’Europe, traversant les empires allemands et austro-hongrois, la Grande-Bretagne et la France jusqu’à Paris, où elles arrivent en décembre 1878.
Lorsque Theophilia prend la pose pour Degas, elle n’a encore que seize ans. L’artiste qui esquisse son modèle à la pierre noire hésite sur la position des mains qui tiennent la barre, mais choisit de mettre en évidence une posture en supination, paumes vers le haut et bras tournés vers l’extérieur. La superposition avec le dessin sous-jacent, moins appuyé, présentant les paumes vers le bas, crée une légère impression de mouvement. Si la vingtaine d’études représentant Olga est utilisée pour préparer le célèbre tableau Miss La La au cirque Fernando exposé par Degas pour la quatrième exposition impressionniste en 1879, le petit portrait de Theophilia ne servira pas à la composition d’une œuvre plus aboutie. En juin 1888, lors de la répétition d’un de ses numéros les plus périlleux, en Allemagne, l’acrobate âgé de vingt-six ans fait une chute mortelle. Anciennement propriété de Marcel Guérin, ami et spécialiste de Degas, ce dessin souvent cité avait disparu depuis plus d’un siècle.