Benjamin RABIER (1864-1939)

La Rage de dents, vers 1910-1920
Encre, aquarelle et gouache sur papier
À vue 24,4 × 17,4 cm
Signé en bas à droite Benjamin Rabier

Benjamin Rabier, né en 1864 à La Roche-sur-Yon, montre un talent précoce pour le dessin et remporte à l’âge de quinze ans un prix de la Ville de Paris. Sans grande fortune, le jeune artiste, dans l’obligation d’abandonner ses études, se résigne à accepter un emploi de comptable au Bon Marché. Néanmoins, en 1889, après son service militaire, il commence à proposer ses dessins à des revues illustrées comme La Chronique amusante, Gil Blas, Le Rire ou Le Pêle-Mêle et voit rapidement certaines de ses gouaches publiées en première page. Le succès de ses personnages est tel que les éditeurs lui commandent des ouvrages complets. En parallèle de ses dessins pour des lecteurs adultes, Benjamin Rabier produit des planches amusantes propres à séduire un public plus jeune, et rejoint en 1903 l’équipe de La Jeunesse illustrée, un des premiers journaux français destinés spécifiquement aux enfants. Rompant avec le modèle convenu de l’image d’Épinal alors en usage, Rabier joue avec le format des cases et propose des mises en page dynamiques qui annoncent la bande dessinée moderne. 

En 1906, l’éditeur Jules Tallandier lui commande une version entièrement illustrée des Fables de La Fontaine. La première édition, qui mêle le texte aux images à la façon d’enluminures, alterne les planches en noir avec les illustrations en couleurs. Plusieurs des fables intègrent la figure d’un petit chien toujours colorié en jaune. L’animal, qui reparaît dans le chapitre sur la race canine du Buffon choisi illustré par ses soins et publié chez Garnier frères en 1913, va petit à petit prendre son indépendance pour devenir le héros d’albums comme Les Contes du chien jaune en 1927. Une gouache dont le format et l’aboutissement donnent à l’image un caractère d’œuvre autonome représente ce petit chien à la robe jaune sur un fond bleu canard. L’animal assis appuie sa patte sur un pot de fleurs pour faire pression sur sa joue. Un torchon orangé, noué autour de sa gueule, retient une compresse propre à le soulager d’une terrible rage de dents dont la douleur est telle, qu’une larme perle au coin de son œil gauche. Qu’il s’appelle Kiki, Mimile ou n’ait pas de nom, le chien jaune, avec le célèbre canard Gédéon, est l’un des personnages récurrents du bestiaire de l’artiste. 

Aujourd’hui, le nom de Benjamin Rabier reste associé dans la culture populaire au visuel emblématique d’une marque de fromage qui aura traversé le siècle. Pendant la Première Guerre mondiale, l’artiste avait décoré les camions de transport de viande de son régiment avec la tête d’une vache hilare, surnommée par lui la « Wachkyrie ». En 1921, Léon Bel reprend ce motif comme logo pour orner les boîtes de son fromage fondu qu’il baptise « La vache qui rit ». Après la mort de Rabier en 1939, plusieurs recueils de ses dessins inédits sont publiés. Un petit album, titré Kiki a mal aux dents, édité par Brittia en 1946, présente en couverture le petit chien jaune serrant sa mâchoire sans autre accessoire.