Ary SCHEFFER (1795-1858)

Vendu

Portrait de Benjamin Franklin (1706-1790), 1820
Huile sur toile
73,5 × 60 cm 
Signé du monogramme et daté sur la droite a : s.1820
Au dos, sur le châssis à l’angle supérieur gauche « No 18 », au centre « Mme la [Marquise] de Tracy »
Cadre d’origine annoté au dos « Scheffer », présence de deux étiquettes. Sur la première : « Madame la marquise/de Tracy/37, avenue Montaigne » ; sur la deuxième étiquette, difficilement lisible, probablement : « 187/marquis de Tracy »

Provenance : commandé par Antoine Louis Claude Destutt de Tracy (1754-1836), légué à son fils Alexandre César Victor Charles Destutt de Tracy (1781-1864) ; par descendance jusqu’à ce jour
Exposition : Paris (26 boulevard des Italiens), « Exposition au profit de la caisse de Secours de l’Association des artistes peintres, sculpteurs, architectes et dessinateurs » en 1859, no 2 : « Portrait de Franklin. /1820. H. 0,71 – L. 0,59. /Appartient à M. Victor de Tracy »
Publications : Catalogue des œuvres de Ary Scheffer exposées au profit de la caisse de secours de l’association des artistes peintres, sculpteurs, architectes et dessinateurs, Paris, impr. de J. Claye, 1859, p. 7, no 2 ; Anatole de La Forge, « Beaux-Arts – Œuvres de Ary Scheffer », Le Siècle : journal politique, littéraire et d’économie sociale, 4 août 1859 ; Catalogus der Kunstwerken en Andere Voorwerpen, betrekking hebbende op Ary Scheffer en Toebehoorende aan Dordrechts Museum, Dordrecht, De Dordrechtsche Drukkerij en Uitgevers Maatschappij, 1934, p. 114 ; Leo Ewals, Ary Scheffer : sa vie et son œuvre, Nijmegen, [s. n.], 1987, p. 390

Acquisition par la Fondation Chambrun, Paris

 scientifique, demeure l’une des figures emblématiques de l’histoire des États-Unis d’Amérique. Signataire de la Déclaration d’indépendance en 1776, il part pour la France en ambassade où il arrive en décembre de la même année. Reçu sans enthousiasme par le roi Louis XVI, Franklin qui cherche à obtenir le soutien de la France dans la guerre qui oppose Américains et Anglais est nommé Premier ministre plénipotentiaire américain à la cour de Versailles en 1778. Installé dans un hôtel particulier de Passy, il reste en France jusqu’en 1785 et rencontre les membres les plus éminents des communautés scientifique et littéraire de Paris. Durant cette période de presque dix années, Franklin fréquente hommes de lettres et d’État tout en militant pour la cause américaine aux côtés du général Lafayette. Franc-maçon depuis 1731, il est affilié à la loge parisienne des Neuf Sœurs où il assiste à l’initiation de Voltaire et dont il devient vénérable maître durant trois années. En 1783, il signe le traité de Paris qui garantit l’indépendance des États-Unis et met fin à la guerre contre l’Angleterre. De retour en Amérique, Franklin participe à la rédaction de la Constitution américaine dont il est également l’un des cinquante-six signataires.
Le séjour français de Franklin a marqué les esprits des deux côtés de l’Atlantique et fait naître durablement un « mythe Franklin » dans l’Hexagone. Antoine Louis Claude Destutt de Tracy (1754-1836), jeune noble, militaire dans les armées du roi et futur député de la Constituante, rencontre Franklin par l’intermédiaire de La Fayette alors qu’il n’est âgé que d’une vingtaine d’années. Franc-maçon, il s’impose comme l’un des grands penseurs de son temps en publiant son traité Éléments d’idéologie en 1801 puis son Commentaire sur l’Esprit des lois de Montesquieu. Ce dernier ouvrage, publié en anglais aux États-Unis à l’initiative de Thomas Jefferson en 1811, lui offre une reconnaissance internationale. Le philosophe, très proche de La Fayette dont il fut le maréchal de camp, marie sa fille Émilie en 1802 avec le fils du « héros des Deux Mondes ».

En 1820, Antoine Destutt de Tracy fait appel à Ary Scheffer, jeune peintre d’origine hollandaise, pour réaliser un portrait de Benjamin Franklin en souvenir de sa rencontre avec le grand homme quarante ans plus tôt. L’artiste, ancien élève de Pierre Narcisse Guérin, adopte les idéaux libéraux et démocratiques de son frère Arnold (1796-1853), journaliste et historien, devenu secrétaire particulier de La Fayette, alors l’un des chefs de file de l’opposition à la restauration de la monarchie absolue. Cette proximité idéologique entre le peintre et son commanditaire peut justifier à elle seule l’intérêt d’Antoine Destutt de Tracy pour le jeune artiste qui avait déjà réalisé le portrait de son épouse en 1818 puis de son fils Victor Charles l’année suivante. 

Ary Scheffer qui est né cinq ans après la mort de son modèle, s’inspire du portrait peint d’après nature par Joseph Siffred Duplessis, connu par de nombreuses répétitions, variantes et copies sur lesquelles le peintre peut s’appuyer. Scheffer reprend, de la version exécutée vers 1785, la pose, le costume et le cadrage à mi-corps, mais exclut de sa composition le dossier du fauteuil. Il s’éloigne également du modèle de Duplessis en intégrant à droite un éclair qui se détache sur un fond bleu nuit. Ce détail profondément romantique insiste sur le rôle scientifique du personnage plutôt que sur son importance politique en évoquant les recherches de Franklin sur la foudre et l’invention du paratonnerre dans les années 1750. Cette même année, Scheffer travaille à une petite toile de genre, intitulée Pendant l’orage, dont le thème entre en résonance avec l’éclair du portrait de Franklin. Premier d’une série qu’Ary Scheffer consacre aux grandes personnalités de la guerre d’indépendance américaine durant les années 1820, ce portrait de Franklin sera suivi des portraits de La Fayette commandé par le Congrès des États-Unis en 1823, représenté en pied sur fond de paysage, puis de George Washington en 1825. Cette dernière toile, commandée au peintre par La Fayette lui-même pour son château de La Grange devait devenir la pièce centrale d’un « panthéon virtuel des héros de la démocratie américaine », pour reprendre la formule de Marthe Kolb publiée en 1937. Cet autre portrait s’inspire directement du tableau peint par Gilbert Stuart, lui aussi d’après nature. 

À la mort de son commanditaire en 1836, le portrait de Franklin devient la propriété de son fils, Victor Charles Destutt de Tracy. La toile sera prêtée en 1859, un an après le décès du peintre, à l’occasion de l’exposition des œuvres de Scheffer à Paris au profit de la caisse de secours de l’Association des artistes peintres, sculpteurs, architectes et dessinateurs. Anatole de La Forge dans l’édition du journal Le Siècle du 4 août 1859 commente l’œuvre : « C’est d’abord Franklin, une des premières œuvres de son début dans les arts, et l’une des plus heureuses. La figure calme du sage Américain, ses cheveux gris, son large front, sa bouche fine, l’expression sublime de ses yeux permettent de comprendre le succès de cette toile qui révélait, il y a quarante ans, aux vieux peintres de l’Empire, un jeune rival prêt à passer maître. »