Jean-Auguste-Dominique INGRES (1780-1867)
Portrait de profil d’Alexandre-Michel Beljambe, 1812
Graphite sur papier
ø 17,5 cm
Signé, localisé et daté en bas vers la droite Ingres à Rome 1812
Annoté au verso au crayon noir M.Beljame / rue de Rivoli 224
Provenance : probablement collection Beljame, Paris ; collection Henri Delacroix (1873-1937), professeur à la Sorbonne [cf. cachet en bas à droite (Lugt 3604)], sa vente, Paris, Palais Galliera, Me Étienne Ader, 31 mars 1962, n° 60 (repr. pl. XXII) (sous le titre : « Portrait de jeune homme en buste, le visage de profil vers la gauche ») ; vendu 16.000 frs. à Mme X., puis par descendance ; collection privée (M. et Mme Z.), Alpes-Maritimes
Exposition : Dessins [d’Ingres] tirés de collections d’amateurs, 2e cahier, Salon des Arts-Unis, Paris, 1861 (catalogue non retrouvé) ; École des Beaux-Arts, Paris, 1867, n° 546, p. 93
Bibliographie : Émile Galichon, « Dessins de M. Ingres, deuxième série », Gazette des Beaux-Arts, juillet 1861, p. 46 (« M. Beljame est représenté en buste, le visage de profil regardant à gauche. Signé à droite Ingres à Rome, 1812. (Haut. 160 mm) » ; Charles Blanc, Ingres, Paris, 1870, p. 235 (sous le titre « M. Beljame ») ; vicomte Henri Delaborde, Ingres, Paris, 1870, p. 290, n° 256 (sous le titre « Beljame (M.) » ; Hans Naef, Die Bildniszeichnungen von J.-A.-D. Ingres, Bern, 1977, vol. I, pp. 273-275, vol. IV, n° 80, p. 148 (comme « Portrait présumé d’Alexandre-Michel Beljame » « uniquement connu par les publications énumérées […] »)
Vainqueur du Grand Prix de peinture en 1801, Jean-Auguste-Dominique Ingres ne découvre Rome qu’en octobre 1806. Pensionnaire à la Villa Médicis dès son arrivée, il y réside jusqu’en décembre 1810. Sa demande de prolongation refusée, Ingres, âgé de trente ans, doit quitter la Villa, mais décide de rester à Rome et s’installe dans un appartement au premier étage du 34 de la via Gregoriana. À cette époque, il réalise une série de portraits de hauts fonctionnaires et de riches étrangers de passage ; un travail qu’il juge alimentaire et qui complète ses grandes commandes impériales. En 1812, il trace au graphite un splendide portrait de profil représentant un jeune homme âgé d’une vingtaine d’années. Le format en tondo, associé au choix d’un profil pur, rapproche cette œuvre de l’esprit des médailles antiques. Grâce à un décadrage récent, le nom de famille du modèle et une adresse parisienne sont réapparus au verso de la feuille : « M.Beljame / rue de Rivoli 224 ».
En 1977, Hans Naef fut le premier à présumer que ce « M. Beljame » devait être Alexandre-Michel Beljambe (1791-1881). Dans son catalogue raisonné des portraits d’Ingres, il précise, sous le n° 80, que ce portrait n’est connu de lui que par sa mention dans différents ouvrages. Né à Paris le 9 septembre 1791, le modèle est âgé de vingt-et-un-ans lorsque Ingres dessine son portrait à Rome en 1812. Il est le fils de Pierre-Guillaume-Alexandre Beljambe (1759-1820), un artiste, dessinateur et graveur né à Rouen, membre des académies de Caen et d’Orléans dont les œuvres sont aujourd’hui conservées dans différents musées. À Paris, il vit avec ses deux fils, Alexandre-Michel, l’aîné, et son cadet, Alphonse-Eugène, né en 1793. Deux ans après la mort de leur père, les deux frères demandent à changer officiellement leur nom de famille, en 1822, probablement pour échapper aux moqueries d’un nom trop imagé : Beljambe devient alors « Beljame ». Selon l’ordonnance d’octroi de changement de patronyme, Alexandre-Michel est alors « employé au Trésor » et réside à Paris. Sa présence à Rome n’est attestée finalement que par la localisation de son portrait dans cette ville en 1812. Les archives nous apprennent qu’il est employé au ministère des Finances, au moins jusqu’en 1838. Entre-temps, il épouse en 1827 Julie Adélaïde Philippine Leblanc qui décède deux ans plus tard. À cette époque, il demeure au 7 de la rue Dauphine. En mai 1830, il se remarie avec Clémentine Bosc (1809-1897), de dix-huit ans sa cadette, de laquelle il aura quatre enfants, Clotilde (1831-1832), Claire (1836-1902), Alexandre (1842-1906) et Auguste (vers 1843-1869). Le modèle semble parti vivre en Angleterre au milieu des années 1840. Ses deux fils, qui grandissent à Londres, deviendront linguistes. En 1865, nous retrouvons Alexandre-Michel Beljame à Paris cité dans l’Almanach impérial. Il est précisé qu’il est alors traducteur et interprète en italien « expert assermenté près la cour impériale de Paris » et résidant au 224 de la rue de Rivoli, adresse correspondante à la mention au revers du dessin. Son fils, Auguste, est localisé à la même adresse dès 1863 comme auteur d’un ouvrage de grammaire à l’usage des étudiants anglais publié à Londres par Galignani & Co. Alexandre-Michel Beljame décède le 19 novembre 1881. À cette date il vit au 7 rue de l’Éperon à Paris, aujourd’hui un centre d’échange linguistique.
Du vivant d’Ingres et du modèle, le dessin est décrit en 1861 par Émile Galichon dans la Gazette des Beaux-Arts : « M. Beljame est représenté en buste, le visage de profil regardant à gauche. Signé à droite Ingres à Rome, 1812. (Haut. 160 millim.) ». Si ce n’est la différence de taille, qui peut s’expliquer par la présence d’un passe-partout, la description correspond parfaitement avec ce dessin. Le portrait est ensuite exposé à l’École des Beaux-Arts en 1867 dans la rétrospective organisée après le décès de son auteur. À ce moment-là, il appartient probablement encore au modèle. En 1870, Henri Delaborde et Charles Blanc recensent tous les deux ce dessin dans leurs catalogues respectifs en se bornant à citer Galichon « Portrait de M. Beljame ». Par la suite, le dessin disparaît pendant près d’un siècle avant de resurgir lors de la vente de la collection Henri Delacroix en 1962. Si l’œuvre est reproduite dans le catalogue de la vente, le modèle a entre-temps perdu son identification. Le numéro 61 de la vacation, une Vénus d’Ingres provenant de la collection His de la Salle, ne s’était vendu « que » 4.500 frs. contre 16.000 frs. pour ce magnifique portrait. Plus tard, dans une lettre datée de 1981, Hans Naef conteste l’autographie de l’œuvre mais précise ne connaître le dessin que par sa reproduction et n’a pas alors connaissance des mentions inscrites au revers.
Du point de vue stylistique, le portrait de Beljame est à rapprocher de celui de l’architecte Jean-Baptiste Desdéban (1781-1833), pensionnaire à la Villa Médicis, peint par Ingres à Rome en 1810. On peut également le comparer à plusieurs portraits dessinés entre 1810 et 1812. Le premier est un portrait d’homme (anciennement considéré comme étant celui du critique d’art Auguste Jal) daté de 1811 et conservé au Philadelphia Museum of Art ; le second est celui de Guillon-Lethière, tracé par Ingres en 1811 et aujourd’hui conservé au musée Bonnat-Helleu de Bayonne ; et le troisième celui de Philippe de Mengin de Bionval, conservé à la National Gallery of Art de Washington, au bas duquel l’artiste a noté « Ingres à Rome 1812 ». Le portrait de Beljame partage avec ces trois dessins la même sensation de spontanéité. Les modèles, représentés de profil, entrouvrent tous les lèvres comme pour s’apprêter à parler. Ingres s’était déjà essayé au portrait de profil dans ses plus jeunes années, à l’imitation des portraits dessinés par son père dans le goût de la fin du XVIIIe siècle en suivant la nouvelle mode des physionotraces.