Un Guet-à-pens, 1872
Encre et aquarelle sur papier
21 x 24 cm
Signé, daté en bas à gauche et titré en bas au centre Henry Monnier / 1872. / Un Guet-à-pens
Provenance : collection Gustave Cahen (1848-1928) ; sa vente, Paris, hôtel Drouot, 8 juin 1929, n° 92 ; vente anonyme, Paris, Briest, 29 juin 1993, n° 45
Bibliographie : Aristide Marie, Henry Monnier (1799-1877), Paris, 1931, reproduit p. 173
Acquisition par la Fondation Custodia
Au début des années 1830, le quartier de la Nouvelle Athènes, fraîchement loti en contrebas de la butte Montmartre, accueille la fine fleur du mouvement romantique. On peut y croiser des peintres, des écrivains, des musiciens, des journalistes et des acteurs dissertant sur le monde. Henry Monnier, qui a depuis donné son nom à l’une des rues du quartier, est tout cela à la fois. Auteur, metteur en scène, chansonnier et acteur, il se produit au théâtre du Vaudeville et dans les cafés des boulevards. Créateur du personnage de Monsieur Prudhomme, emblématique bourgeois bedonnant aussi conformiste qu’imbécile, il inspire Balzac pour certaines figures de La Comédie humaine et plus tard Verlaine pour l’un de ses Poèmes saturniens. Monnier, également habile dessinateur et lithographe, croque sur la feuille les mêmes mœurs hautes en couleur de la vie parisienne qu’il raille dans ses pièces de théâtre. De la pointe du crayon, il capture la physionomie des célébrités de son temps, souvent des acteurs qu’il croise sur scène ou dans les cafés après la représentation. Il fournit également des caricatures pour les journaux et travaille le plus souvent en série. Il répète ses figures à l’image de Monsieur Prudhomme dont il varie les situations ridicules, ou reprend des systèmes de compositions où plusieurs personnages sont rassemblés dans un salon.
Un Guet-à-pens (sic), aquarelle réalisée en 1872, fait partie des Salons sombres. Dès 1852, les frères Goncourt, dans Mystères des théâtres, désignent les scènes illustrées dans cette série « comme des conversations niaises où l’on ne dit rien ». Aristide Marie, biographe de l’artiste, qui publie ses recherches en 1931, décrit parfaitement la capacité de Monnier « à exprimer l’ennui d’auditeurs résignés à subir […] la lecture somnifère, infligée à de malheureux invités, dans le guet-apens que leur a tendu un auteur incontinent ».
Plongé dans la pénombre d’un salon bourgeois, un homme sévère s’est assis sur une chaise et tend à bout de bras une page dont il semble vouloir faire la lecture. Trois hommes et deux femmes conservent un silence attentif pendant qu’un septième protagoniste, assis face au lecteur, apparaît totalement abattu. La nouvelle annoncée par le personnage derrière la petite table hollandaise n’est pas explicitement donnée par Monnier. Avec un peu d’imagination, ce guet-apens pourrait être la lecture d’un testament à un fils déshérité ou l’attente résignée d’un futur époux écoutant les conditions d’une union plus arrangée que désirée. De tout le groupe, seul le chien, personnage récurrent des œuvres de Monnier, se tient droit et paisible, posant pour la postérité sans chercher à éviter le regard de l’artiste.