Jean-Jacques GRANDVILLE (1803-1847)

Les Peintres de paysage, vers 1843
Encre sur papier
9,4 x 14,3 cm
Timbre sec de sa vente après décès au revers (L.1478a)

Acquisition par la Fondation Custodia, Paris

Originaire de Nancy, Jean-Ignace-Isidore Gérard, plus connu sous le pseudonyme de Grandville, passe son enfance dans une famille qui comptait de nombreux artistes, peintres ou comédiens. Adolescent, il apprend le dessin en copiant des caricatures dans les journaux et fort d’un talent certain, décide de tenter sa chance à Paris. Dès son arrivée dans la capitale, il fournit des planches satiriques à différents périodiques en vogue, dont L’Artiste, Le Charivari et La Caricature. Entre 1828 et 1829, Grandville publie un recueil intitulé Les Métamorphoses du jour qui rencontre un grand succès populaire. Véritable comédie humaine composée de soixante-dix dessins, l’ouvrage met en scène des animaux anthropomorphes qui singent la société de son temps. Lassé par les contraintes de plus en plus sévères que lui impose la censure, Grandville s’éloigne de la caricature sociale et se consacre à l’illustra- tion de livres tels que Les Fables de la Fontaine, Don Quichotte, Voyages de Gulliver ou Les Aventures de Robinson Crusoé.

En 1843 l’artiste fait paraître, en livraison hebdomadaire puis en version reliée chez l’éditeur Fournier, une œuvre d’un nouveau genre qu’il baptise Un autre monde. Grandville inverse le principe même de l’illustration entre textes et images. L’écrivain Taxile Delord, découvrant les dessins de l’artiste, compose le récit que les œuvres lui inspirent. L’ensemble dessine un monde fantasmagorique, fait de rêveries et de bizarreries où la poésie se conjugue avec l’étrange. L’ouvrage, visionnaire sur de nombreux points, reflète avec sévérité une époque marquée par les découvertes et les innovations dans tous les domaines : scientifique, médical, industriel ou économique. L’un des chapitres, intitulé Le Royaume des marionnettes, s’intéresse aux artistes. Si Ingres et ses élèves semblent faire les frais d’une assemblée de singes en costume Renaissance dans l’un des dessins, l’illustration suivante vise directement les peintres de paysage. Au bord d’une flaque, un assemblage hétéroclite d’objets mime deux peintres assis devant leurs toiles et peignant l’un des arbres et un moulin, l’autre un volcan. Les deux artistes couverts de larges chapeaux et protégés du soleil par des ombrelles ne sont en fait que deux tabourets de voyage garnis de boîtes et de tissus. Les arbres sont joués par des balais plantés à différentes hauteurs dans la boue, et le volcan, un tas de sable sur lequel passe la fumée d’une pipe.

L’ouvrage pour lequel Grandville avait signé un contrat d’au moins deux éditions fut incompris du public et jugé in- cohérent par les critiques. La deuxième édition fut annulée par Fournier faute d’avoir écoulé le premier tirage. Considéré par beaucoup comme son chef-d’œuvre, Un autre monde connaît un immense succès après la mort de l’auteur en 1847. Son influence sur Lewis Carroll et John Tenniel, respective- ment auteur et premier illustrateur d’Alice au pays des merveilles est indéniable. Au XXe siècle, l’écrivain Pierre Mac Orlan insiste sur le caractère précurseur de Grandville dans la dé- marche des surréalistes.

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