Paul DELAROCHE (1797-1856)

Portrait de Giorgione, étude pour l’hémicycle des Beaux-Arts
Mine de plomb sur papier
30 x 23,5 cm
Provenance : Fond d’atelier de Guillaume-Alphonse Cabasson

Vendu

Le peintre Alphonse (Harang) Cabasson, né à Rouen en 1814, est entré dans l’atelier de Paul Delaroche à l’Ecole des Beaux-Arts en 1833. En 1837, il participe au concours de paysage historique et  remporte une médaille de troisième classe. […] A partir de 1836, Delaroche travaille sur sa grande composition des ‘Artistes de tous les âges’, commandée pour l’Hémicycle des Beaux-Arts, et qui ne fut terminée qu’en 1841. Il est certain que Delaroche était aidé dans cette tâche onéreuse par certains de ses étudiants, dont les noms restent pour la plupart inconnus. La présence de ce dessin, d’une qualité exceptionnelle, dans le fonds d’atelier de Cabasson porte à l’hypothèse que celui-ci était inclus dans cette compagnie, et nommément que le dessin soit de la main de Delaroche lui-même. Il y a lieu à conclure qu’il fait partie du groupe d’esquisses préparatoires pour les artistes particuliers qui vont figurer éventuellement dans le panorama de l’Hémicycle. Plusieurs de ces esquisses se trouvent aujourd’hui dans le fonds Delaroche du département des Arts graphiques du Louvre. Il était fréquent que  Delaroche offre ses dessins en cadeaux, à ses amis et à ses plus proches collaborateurs.

Une question se pose donc à propos de ce dessin. Pour quel artiste serait-t-il une esquisse préparatoire ? Il existe, en effet,  une séquence très riche d’études préparatoires (à la fois des artistes particuliers et des ensembles d`artistes) qui nous permettent sinon de résoudre, au moins d’éclaircir cette question. En premier lieu, il faut reconnaître que Delaroche faisait très attention dès le début au placement des artistes et il n’y en a que deux d’entre eux, Giorgione et Raphael, qui soient  représentés le pied droit posé sur une marche supérieure. Giorgione, qui pose le pied gauche sur le carrelage du sol, est vu de profil, se détachant de la compagnie des peintres coloristes par la splendeur de son costume. Raphael, toujours montré comme Giorgione avec les pieds sur les deux marches, est vêtu sobrement dans les premières études, avec un costume noir tiré d’un supposé autoportrait (comme dans l’Apothéose d’Homère d’ Ingres). Ce n’est qu’après avoir remarqué un autre tableau supposé, par tradition, être un autoportrait  de Raphael (alors à Paris dans la collection du Prince Adam Czartoryski), que Delaroche l’a revêtu d’une robe somptueuse de velours.

Il faudrait ajouter que les positions et les gestes de ces deux artistes en particulier étaient censés avoir une signification historique. Etienne Delécluze a remarqué dans le Journal des débats en 1841, à propos du Giorgione, que son « maintient de matador indique la différence bizarre qu’il y avait entre la turbulence de son esprit et le calme et la beauté de ses ouvrages ». Par contre, le Raphael était représenté, selon Delécluze, « écoutant avec respect le savant maître », c’est-à-dire son voisin, le vieux Léonard. Ces interprétations rendent compte, évidemment, de l’usage fait par Delaroche des jugements faits par Vasari dans ses Vite.

Le dessin en question serait-il alors une esquisse préparatoire pour le ‘matador’ ou pour le fidèle élève ? Il est toujours possible que Delaroche a conçu de cette façon son Raphael, après avoir abandonné le modèle d’Ingres, et avant de prendre l’autoportrait Czartoryski comme son modèle définitif. Mais l’attitude du personnage, me semble-t-il, est peu compatible avec la version du jeune peintre qui écoute son maître. Par contre, il est certain que les pieds du personnage sont chaussés de la même façon, exactement, que ceux du Giorgione dans les versions successives de l’Hémicycle, en commençant par l’esquisse de 1836. Pourvu d’un chapeau dans celle-ci, il ne le garde plus dans l’étude de c.1838, et ne la reprend point dans la version finale de l’Hémicycle. Mais son fier profil se définit peu à peu à travers les versions, et s’exprime clairement dans ce dessin. Ce qui reste exceptionnel, c’est le geste qu’il fait avec la main droite. Est-ce que Delaroche a eu l’idée entre-temps de donner une attitude plus alerte au jeune peintre vénitien par rapport à son maître adjacent, Giovanni Bellini ? Tout bien considéré, je pencherais en effet pour Giorgione. En tout cas, le dessin n’a pas eu de suite directe dans l’Hémicycle. Peut-être est-ce pour cette raison que Delaroche ne se soucia pas de le garder. Il reste cependant comme un témoignage fort éclairant du grand travail de recherche et de création qu’il a entrepris en acceptant de peindre le panorama des ‘Artistes de tous les âges’.

 Stephen Bann