François GÉRARD (1770-1837)

Monseigneur de Belsunce pendant la peste, vers 1824-1825
Encre et huile sur papier marouflée sur toile
38,5 x 30 cm
Signé à l’encre en bas à droite

Acquisition par le musée Girodet de Montargis

Né à Rome en 1770, François Pascal Simon Gérard arrive à Paris à l’âge de douze ans avec sa famille. Il est admis à la demande de son père dans la « Pension du Roi », parmi onze autres jeunes artistes. Puis il intègre les ateliers de Pajou et de Brenet. De cette période date une petite esquisse, aujourd’hui disparue, considérée comme sa première peinture et ayant pour sujet une scène de la peste. En 1786, il entre dans l’atelier de David où il rejoint Girodet, Gros et Fabre, puis sous la direction du maitre participe au concours du Prix de Rome en 1789, à l’occasion duquel il obtient le second Prix derrière Girodet son ami de jeunesse. Gérard traverse la période révolutionnaire et l’Empire en connaissant des succès grandissants. Des œuvres telles que le Bélisaire (1795) ou Amour et Psyché (1798) vont asseoir sa célébrité, jusqu’ à l’obtention du statut de peintre officiel de la future impératrice, Joséphine de Beauharnais. Si beaucoup d’élèves de David ayant servi sous l’Empire connaissent quelques revers de fortune au début de la Restauration, la réputation de portraitiste de Gérard lui permet de très vite revenir au premier plan de la scène artistique. Son œuvre, ses relations et son salon (rendez-vous prisé de la bonne société du temps) en font l’un des personnages les plus influents des milieux intellectuels et artistiques d’Europe sous la Restauration. Il est nommé Premier peintre du Roi en 1817, fonction qu’il exercera sous les règnes de Louis XVIII et de Charles X. Cette reconnaissance royale lui vaudra le titre de baron en 1819.

En 1825, alors qu’il travaille sur Le Sacre de Charles X, une toile de très grand format, la revue du Mercure de France annonçait : Mr Gérard n’est pas si occupé du tableau du Sacre, qu’il ne songe à sortir des compositions de circonstances, il ne courtise par la fortune au point de négliger la gloire. Les amis du grand peintre parlent d’un tableau de la Peste de Marseille déjà commencé et destiné à rappeler une composition de David, la plus belle peut-être que le vieillard exilé ait laissé à sa Patrie.  Les deux tableaux dont il est question ici sont, pour le premier, La Peste de Marseilleachevé par Gérard entre 1829 et 1835, et Saint Roch intercédant auprès de la Sainte Vierge pour la guérison des pestiférés de Marseille de David, peint en 1781. Ces deux œuvres illustrent l’un des épisodes les plus traumatisants de la première moitié du XVIIIe siècle : la peste de Marseille qui, en 1720 provoqua effectivement plus de 150 000 décès en Provence sur une population de 400 000.

Le personnage principal de la composition, Henri-François-Xavier de Belsuncede Castelmoron, fut un ecclésiastique français dont l’événement le plus marquant de son épiscopat fut cette grande peste de Marseille de 1720. Son attitude pendant cette période fut décrite comme très courageuse. Beaucoup furent frappés de son dévouement auprès des malades. Il multiplia les gestes spectaculaires en exorcisant le fléau. Chateaubriand, dans ses Mémoires d’outre-tombe, décrit l’une de ces interventions mystiques : Quand la contagion commença de se ralentir, M. de Belsunce, à la tête de son clergé, se transporta à l’église des Accoules : monté sur une esplanade d’où l’on découvrait Marseille, les campagnes, les ports et la mer, il donna la bénédiction, comme le pape à Rome, bénit la ville et le monde : quelle main plus courageuse et plus pure pouvait faire descendre sur tant de malheurs les bénédictions du ciel ?. Le prélat consacra la ville au Sacré-Cœur pendant une messe célébrée le 1er novembre 1720. Cette dernière démarche lui aurait été suggérée par la visitandine Anne-Madeleine Rémusat. L’actuelle basilique du Sacré-Cœur a été construite à l’occasion du bicentenaire de cette consécration.

Si David choisit de représenter saint Roch, saint du XIVe siècle traditionnellement invoqué contre la peste, Gérard illustre, lui, le dévouement de Monseigneur de Belsunce, personnage historique contemporain des événements. Gérard commence à travailler à son tableau vers 1824-1825 et l’achève vraisemblablement en 1829, puis l’offre en 1835 à la ville de Marseille, en souvenir du plaisir d’avoir débarqué dans la cité phocéenne en arrivant d’Italie lorsqu’il était enfant. D’abord exposé à l’Intendance sanitaire de Marseille, le tableau fut ensuite déposé au Musée des Beaux-arts en 1944.

La composition définitive semble s’éloigner considérablement des premières pensées du peintre, comme l’atteste un dessin du Louvre avec mise au carreau titré « Variante de le Peste de Marseille » (inv. 33.559), de même que l’absence de référence finale au tableau de David. Gérard reprenait pendant de longues périodes ses compositions historiques, les faisant évoluer, les laissant de côté et y revenant plus tard.

Notre esquisse apparaît comme une des premières pensées de composition d’ensemble. De format vertical, l’œuvre montre au premier plan, de gauche à droite, un homme tendant le bras gauche vers le ciel et s’appuyant sur sa main droite, une femme morte ou mourante allongée sur le dos, son enfant au sein (détail iconographique que l’on retrouve également dans le dessin du Louvre, mais plus dans l’œuvre finale). Ici, l’artiste s’inspire visiblement du groupe du premier plan de La Peste d’Asdod de Nicolas Poussin.

A sa droite, Monseigneur de Belsunce, facilement reconnaissable à son costume, invoque à genoux en tendant les bras le Sacré-Cœur qui apparaît dans un nuage de lumière. A sa droite, figure un second personnage religieux ou plus probablement une répétition de Monseigneur de Belsunce priant les mains jointes. Au second plan à gauche, une femme, un genou à terre et la main sur le cœur, assiste à l’apparition miraculeuse. L’arrière-plan montre, pour sa part un panorama sur la mer avec un lever de soleil et deux tours. Gérard, au début de ses recherches, semble s’inspirer fortement de la composition du Saint-Roch de David, sans chercher à en réaliser un pendant. Les deux œuvres sont construites sur une diagonale partant de l’angle supérieur gauche et sont divisées en deux registres. La ligne d’horizon laisse apparaître un panorama des côtes marseillaises où se croisent ciel, terre et mer. Le personnage situé à l’extrême droite de la composition de notre esquisse, et que nous pensons être une variation pour la personne de Monseigneur de Belsunce, est représenté à genoux, les mains jointes, dans la même posture que le Saint-Roch. Ils sont tous les deux tournés vers le ciel, en direction pour le premier du Sacré-Cœur qui a visiblement changé trois fois de position et pour le second de la Vierge, tous deux apparaissant dans un nuage de lumière qui occupe la plus grande partie du ciel. La représentation des pestiférés est présente tant chez David que dans l’esquisse de Gérard, mais sans correspondances notables. Les couleurs des costumes, à dominantes de rouge, de bleu et de blanc chez Gérard, reprennent celles du vêtement de la Vierge dans le tableau de David, l’ensemble se détachant sur un fond d’ocre et de brun dans les deux œuvres.

L’évolution de la composition, sur une période de cinq à dix ans (de 1824 à 1829 ou 1835), a généré de tels changements entre le projet initial et l’œuvre finale que notre esquisse ne peut en aucun cas s’apparenter à un modello. La structure même des deux œuvres est inversée, la diagonale dans le second cas partant de l’angle inférieur gauche. Si le protagoniste principal reste Monseigneur de Belsunce, l’épisode choisi est, lui, très différent. Dans le premier projet, Gérard illustre l’épisode de la consécration de la ville au Sacré-Cœur, alors que dans la composition définitive il se concentre sur le dévouement et la générosité du prélat distribuant du pain aux malades pendant l’épidémie. En ce sens la version offerte à la ville de Marseille se rapproche du tableau de Nicolas Monsiaux, exposé au Salon de 1819 sur le même sujet. Cependant la figure de Monseigneur de Belsunce est retirée à l’arrière-plan de la composition au profit du groupe monumental de la mère protégeant ses enfants ; les côtes marseillaises laissent également place à une vision détaillée du port Saint-Jean et à une façade d’église de style classique qui ne correspond à aucun édifice connu dans la ville.

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