Thomas COUTURE (1815-1879)

L’Ivresse de Pierrot, vers 1857-1860
Huile sur toile
16,4 x 21,7 cm
Signé du monogramme sur le panier en bas à gauche T.C.
Provenance : collection Alexis Rouart (1839-1911) (son cachet sur le châssis en haut à gauche (Lugt 4899); sa vente, Paris, hôtel Drouot, 8 mai 1911, n° 48 (portait une étiquette de vente en bas à gauche numérotée 48, replacée au revers); acquis par Florine Langweil (1861-1956), au moins jusqu’en 1922 ; Paris, galerie Raphaël Gérard [selon une étiquette sur le cadre]
Exposition : Exposition des œuvres de Thomas Couture, Paris, galerie Levesque, 1913, p. 21, n° 16 ; Cent ans de peinture française, exposition au profit du musée des Beaux-Arts de Strasbourg, Paris, Hôtel de la Chambre syndicale de la curiosité et des beaux-arts, 15 mars-20 avril 1922, n° 48 (« appartient à Mme Langweil »)

Vendu

Pour beaucoup, la carrière de Thomas Couture se résume à sa toile la plus célèbre, Les Romains de la décadence, et à son rôle de maître d’Édouard Manet. Pourtant, l’artiste connut en son temps une immense célébrité. Après être passé par les ateliers de Gros et Delaroche, Thomas Couture termine second au concours du Prix de Rome de 1837. Ses premières toiles exposées au Salon, Un jeune Vénitien après une orgie en 1840, Le Fils prodigue en 1841 et L’Amour de l’or en 1844, montrent une affection pour la peinture vénitienne et un penchant précoce pour les sujets moralisateurs. Si en 1847, Les Romains de la décadence lui apporte indéniablement la cé- lébrité, cette dernière ne sera pas suivie d’un solide soutien institutionnel. Les rapides changements de régime durant les quatre années qui vont suivre le forcent à abandonner plu- sieurs projets, dont celui de L’Enrôlement des volontaires de 1792, toile monumentale restée inachevée. Il en sera de même pour les différentes commandes officielles passées sous le règne de Napoléon III.

Au fil du temps, déçu par ses contemporains et par l’ad- ministration, le peintre devient amer et décide, après 1855, de ne plus participer au Salon. Cette année-là, avec Un souper à la Maison d’or exposé sous forme de papier peint, il débute une série inspirée par la commedia dell’arte qui lui permet, sous les masques et les costumes, de continuer à critiquer les déviances de son époque. Pierrot et Arlequin deviennent dès lors les protagonistes de scènes tenant à la fois de l’allégorie et de la caricature. Suivront dans cette veine Les Politiciens, La Commandite, Pierrot en correctionnelle, Pierrot malade et L’Ivresse de Pierrot. La dernière de ces œuvres, non datée, est la plus petite de la série. Nous y retrouvons Pierrot et Arlequin endormis autour d’une table d’auberge. L’endroit paraît misérable en comparaison des décors de lambris de la Maison d’or. Les chandeliers de bronze et les appliques ont laissé la place à un simple bougeoir en cuivre, et les fauteuils Louis XV à d’humbles chaises en bois. Le sol de terre battue est jonché de bouteilles vides et d’assiettes brisées. Arlequin dort sur la table tandis que Pierrot, ivre, s’est effondré la tête renversée vers l’arrière. Son costume n’est plus celui des fastueux bals de l’Opéra avec chapeau à larges bords et collerette, mais se résume à une modeste tunique blanche et à une simple calotte noire. La scène évoque tout autant la déchéance humaine intemporelle que la décadence orgiaque d’un régime finissant.

En 1857, victime d’une campagne calomnieuse du Figaro, Thomas Couture décide de quitter la capitale pour s’installer à Senlis, sa ville natale, et c’est probablement dans son atelier aménagé dans la chapelle de l’ancien palais épiscopal que le peintre compose son Ivresse de Pierrot.

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